Interview. Le pianiste, compositeur et producteur Patrick Leonard a derrière lui une riche carrière faite de collaborations avec des artistes tels que Madonna, Michael Jackson, Leonard Cohen ou encore Peter Cetera. Il a eu la gentillesse d’évoquer ses souvenirs musicaux avec Yuzu Melodies.
Parlez-moi de vos premiers souvenirs musicaux ?
J’ai grandi dans une famille de musiciens. Mon père jouait du saxophone ténor et ma grande sœur du piano. Une fois par semaine, nous recevions la visite de parents qui venaient avec leurs accordéons, trombones, clarinettes, tambours et apportaient de la nourriture. Je me souviens de ma mère me donnant deux stylos pour que je puisse jouer le rythme et ainsi participer à ces concerts familiaux. On jouait très vraisemblablement des polkas. A partir de 3 ans, je me suis mis au piano. C’était ça ou les stylos. Le choix était facile.
J’avais la chance d’avoir une grande sœur qui adorait acheter des disques tout comme mon père. Je me souviens d’avoir appris à jouer des chansons en écoutant le premier disque des Beatles et aussi « Misty » joué par Earl Garner. J’adorais Stan Getz, Jobim, Oscar Peterson, Judy Garland, Sinatra, Rogers et Hammerstein, James Brown, George Shearing, Bill Evans. Il y avait beaucoup de musique à la maison. J’étais un gosse chanceux.
Pouvez-vous me parler de Trillion, votre premier groupe ?
C’était il y a très très longtemps. Je pourrais évoquer ce groupe de différentes façons mais ce dont je me souviens avant tout, c’est qu’on s’amusait beaucoup. On a monté un groupe ensemble, écrit des morceaux qu’on aimait, obtenu un contrat avec une maison de disque et donné des concerts jusqu’à ce que cela ne nous amuse plus. Je dirais que la musique que l’on faisait avant de signer notre contrat était bien plus progressive que celle qu’on a enregistré pour Epic Records. J’ai toujours été un grand fan de rock progressif.
Pourquoi le groupe s’est-il séparé ?
Je ne me souviens plus pourquoi mais j’ai quitté le groupe après le deuxième album.
Que pensez-vous de la musique de Trillion après toute ces années ?
J’imagine que vous voulez parler des disques qu’on a enregistré à la fin des années 70 puisque trois musiciens jouent toujours ensemble aujourd’hui. Je sais que ça fait cliché de dire ça mais j’aimerai que l’on ressorte nos démos. Les disques que nous avons fait ont été très aseptisés afin d’en faire des produits de consommation, comme c’est souvent le cas. Quoi qu’il en soit, je ne les ai pas écoutés depuis des années et honnêtement, je serais bien incapable de dire ce que j’en pense maintenant.
J’ai vu que vous aviez travaillé avec les Jacksons sur le Victory tour. Quels souvenirs gardez-vous de cette tournée très controversée et des tensions au sein du groupe ?
Aucun souvenir à part la joie de jouer la ligne de basse de « Billie Jean » au sein d’un super groupe pendant que Michael dansait et chantait.
Vous êtes devenu célèbre grâce à votre collaboration avec Madonna. Comment l’avez-vous rencontrée ?
Autant que je m’en souvienne, elle avait besoin de monter un groupe pour l’accompagner dans sa première tournée. Elle avait vu le Victory tour, son manager a appelé le mien car j’avais quasiment occupé la fonction de directeur musical pour les Jacksons, et elle voulait que celui qui avait fait ça pour eux le fasse pour elle. Ça a du se passer à peu près comme ça.
Quels souvenirs gardez-vous de la conception des albums True Blue et Like a Prayer ?
Les circonstances ont considérablement changé entre True Blue et Like a Prayer. Nous avons commencé à concevoir True Blue, elle et moi, pendant notre tournée. Nous avons joué notre première chanson commune, « Love Makes the World Go Round » au Live Aid. Après cela, nous avons écrit « Live to Tell » pour le film At Clore Range, puis « La Isla Bonita » et puis juste après, nous sommes allés dans un minuscule studio à Burbank, en Californie, et au grand désarroi de Warner Brothers records car je n’avais encore jamais produit de disque pour un gros label, Madonna, Stephen Bray, Michael Verdic et moi avons fait True Blue.
Après ça, je me suis construit un grand studio de deux pièces et acheté une voiture de sport comme vous l ‘auriez fait vous aussi.
Et pour Like a Prayer, j’imagine qu’il devait y avoir plus de pression ?
Pour Like a Prayer, je savais que les gens allaient se précipiter pour l’écouter dès qu’il serait fini. C’était une expérience complétement nouvelle pour moi à l’époque. Ce n’était pas vraiment de la pression mais il fallait trouver l’inspiration pour faire le meilleur album possible. Madonna et moi avons écrit ensemble durant quelques semaines. Nous écrivions une chanson tous les un ou deux jours. Je me souviens que ça venait sans difficulté. Il n’y a pas eu beaucoup d’approximations ou de désaccords. Je pense qu’on avançait sur des rails à ce moment-là. Parmi les grands moments, et il y en a eu beaucoup, je me souviens de Jeff Porcaro sur « Cherish », de l’immense et regretté David Williams sur tout l’album, de l’enregistrement de « Like a Prayer » avec la chorale Andre Crouch Choir, et aussi notre collaboration avec Bill Bottrell qui est vraiment le meilleur dans ce business à mon avis. A la fin, le label et le manager de Madonna ne sentaient pas trop la chanson « Like a Prayer ». Ils ont insisté pour qu’elle renonce à la sortir en single. Ils ont perdu.
Vous avez aussi travaillé sur les tournées de Madonna. Quel était le principal challenge pour ce travail ?
Les danseurs. Très sérieusement, les danseurs.
Vous avez produit un autre superbe disque dans les années 80 : One More Story de Peter Cetera qui est sans aucun doute son meilleur album. Parlez-moi de cet album.
Ah les années 80 ! J’ai entendu dire qu’elles étaient de retour.
Je ne sais plus comment j’ai rencontré Peter. Je me souviens qu’on s’est bien amusé. C’est un super chanteur, doté d’une grand sens de l’humour, et on a été à peu près d’accord sur tout en ce qui concerne la musique. La dernière chanson qu’on a écrite pour l’album était « One Good Woman ». Je pense que c’est la meilleure chanson du disque. On a eu David Gilmore qui est venu jouer sur « You Never Listen to Me ». C’était bien sûr un grand moment. Il a toujours été le meilleur pour jouer des mélodies.
Peter a une belle voix et c’était génial de rester là à l’écouter chanter. Plus jeune, je jouais des chansons de Chicago avec les groupes dans lesquels j’étais. J’ai toujours été fan de cette voix.
Et est-ce la voix de Madonna qu’on entend sur « Scheherazade » ?
Je ne le dirai jamais.
Vous avez aussi travaillé avec Richard Page avec lequel vous avez formé le groupe Third Matinee. Ensemble vous avez écrit la chanson « I’ll Remember » pour Madonna. Comment est née cette chanson ? Était-elle destinée à Third Matinee à l’origine ?
Richard Page est l’un des meilleurs musiciens au monde. C’est un chanteur et un compositeur extraordinaire. Third Matinee est l’une des étapes de ma carrière dont je suis le plus fier.
J’avais composé la bande-son du film With Honors. Dans mes souvenirs, Richard et moi avons écrit la chanson et enregistré une démo pour le générique de fin du film. Je l’ai joué à Madonna, elle a fait quelques changements et nous avons fait le disque. C’est dur de me souvenir de l’histoire de cette chanson. Elle devait raconter l’histoire de quelqu’un d’autre parce que je n’arrive vraiment pas à m’en souvenir.
Plus récemment, vous avez travaillé avec Leonard Cohen sur deux albums. Comment avez-vous fait sa connaissance ?
Adam, le fils de Leonard, et moi nous connaissions. J’avais travaillé avec lui sur l’un des disques de son groupe Low Millions et par la suite, nous avions fait ensemble son album solo Like a Man. Il m’a très gentiment présenté à son père.
C’est comment d’écrire des chansons avec Leonard Cohen ?
Simple, raffiné, enrichissant, amusant, beau.
Vous enregistrez aussi des œuvres pour piano. Et-ce une expérience particulière qui vous apporte quelque chose que vous ne trouvez pas dans vos expériences de producteur et de compositeur ?
Pendant plusieurs mois en 2009, j’improvisais durant une heure, chaque mercredi soir, dans une église de Los Angeles. Je n’ai fait aucun enregistrement de ces improvisations. Quand cette expérience s’est achevée, pour des raisons de discipline, j’ai continué à le faire dans mon studio et cette fois j’enregistrais. Ensuite je les mettais les improvisations sur iTunes telles quelles. Plus pour la postérité qu’autre chose.
En ce moment, je suis en train de travailler sur un nouveau disque au piano comme celui que j’avais sorti en 1996 et qui s’intitulait Rivers. Je vais peut-être le finir cette année. Et pour répondre à votre question, le piano, c’est là où commence tout ce que je fais. Jouer du piano est vraiment ce que je fais de mieux et ce que j’aime le plus. C’est quelque chose de totalement spontané et c’est vraiment de la musique. L’enregistrement, c’est quelque chose qui se fait avec du recul.
J’ai besoin de ça dans ma vie de musicien pour rester honnête avec moi-même.