Madonna : « Wallis et moi avons été critiquées pour notre ambition, nos comportements scandaleux »
16 mai 2012 Interviews

Madonna : « Wallis et moi avons été critiquées pour notre ambition, nos comportements scandaleux »

Alors que sa tournée s’apprête à enflammer la planète, Madonna sort W./E., histoire d’amour et de souffrance entre le duc de Windsor et Wallis Simpson, une aventurière au passé déchirant et au charme fou.
Entretien exclusif avec le magazine L’Express…

L’EXPRESS – Pourquoi un film sur Wallis et Edouard, duchesse et duc de Windsor?
Madonna – C’est une obsession qui dure depuis douze ans… Depuis que je me suis installée en Angleterre, à la suite de mon mariage avec Guy Ritchie. Au début, je me sentais comme une sorte d’outsider dans une culture qui m’était étrangère. Pour m’intégrer, j’ai étudié l’histoire de ce pays. J’ai lu une tonne de biographies de Henry VIII, puis je suis passée à celles d’Edouard VII et celles de son fils héritier… J’étais terriblement intriguée par Wallis Simpson, la future duchesse de Windsor, cette Américaine deux fois divorcée pour laquelle le roi Edouard VIII a abdiqué. Qu’avait-elle de si unique pour qu’Edouard renonce à sa couronne et abandonne son empire pour l’épouser? Les hommes sont des bêtes assoiffées de pouvoir: Wallis devait être une femme d’exception. J’ai passé des années à rechercher tout ce que je pouvais trouver sur leur vie. Et j’ai commencé à écrire un scénario.

L’EXPRESS – Où vous a menée cette obsession?
Madonna – Je suis allée jusqu’à consacrer une chambre dans ma maison à Wallis et à Edouard: les murs sont tapissés de leurs photos, d’articles ; les tables encombrées de livres, de documents d’archives… J’ai rempli des carnets de citations du père d’Edouard. « Il faut toujours se souvenir de sa position », écrivait-il, peu avant sa mort, en 1936, à son fils. J’ai découvert que Wallis et Edouard avaient habité dans un appartement en face de chez moi, à Londres. J’ai passé des journées comme une ‘stalker’, assise sous le porche de leur maison. Un jour, j’ai frappé à la porte ; personne ne m’a ouvert, mais j’ai vu une camionnette, garée à quelques pas de là, avec cette inscription sur le côté: « Montague »… Montague était le nom de jeune fille de la mère de Wallis. Je l’ai pris comme un signe.

L’EXPRESS – Qu’avez-vous découvert sur Wallis Simpson?
Madonna – Les historiens la décrivent souvent comme une ambitieuse voulant gravir l’échelle sociale et poursuivant Edouard pour sa richesse et son rang. Wallis est loin d’être une sainte… Mais elle l’aime et elle est prête à renoncer à cette relation pour qu’il puisse régner. Pourtant, plus elle tente de s’enfuir, plus il la retient, arrivant même à la menacer de se suicider si elle partait. Wallis n’était pas belle, mais elle possédait une élégance et une classe incroyables. Le duc était captivé par sa vivacité, son énergie: « Elle est la femme la plus indépendante que j’aie jamais vue. »

L’EXPRESS – Vous dévoilez une Wallis inédite…
Madonna – La duchesse était drôle, intelligente, s’intéressait à la politique. J’ai essayé de recréer son sens de l’humour et ce côté irrévérencieux qui ont su surprendre le duc et la haute société anglaise. J’ai surtout voulu réhabiliter l’image de cette femme que les médias ont harcelée, humiliée: elle a été traitée de pute, de pro-nazie – une calomnie: aucun historien n’a pu le prouver! -, d’espionne, d’hermaphrodite… Elle n’a jamais pu se défendre publiquement. Et, si tous les livres parlent des sacrifices que le duc a faits pour cette histoire d’amour, personne ne s’est demandé ce à quoi cette femme a dû renoncer ! J’ai eu le privilège de lire la correspondance intime entre Wallis et Edouard. Elle appartient à Mohammed al-Fayed. Il m’a permis de consulter une centaine de lettres que Wallis et Edouard se sont écrites tout en habitant sous le même toit… Et qui ont nourri mon scénario. Elles sont fascinantes. Terribles aussi. Elles donnent un aperçu glaçant de leur histoire… Wallis et Edouard signent les lettres de leurs initiales : W./E. (nous). Romantique. Mais celle que l’on a surnommée « la plus grande histoire d’amour du xxe siècle » n’est pas si glamour que ça.

L’EXPRESS – Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans ces lettres?
Madonna – Les mots bouleversants et lucides de Wallis. Le duc l’épouse en 1937. Ils passent une grande partie de leur temps en France, en exil forcé. Wallis a perdu toute indépendance, est traquée par les paparazzis, jugée… A cette époque, elle écrit: « Je suis inconsolable. Je suffoque. C’est un enfant! Impossible de lui parler. Je suis un animal traqué. Je ne pourrai jamais plus partir. Qu’ai-je fait pour mériter cela? » Elle est profondément malheureuse. Ces mots -que j’utilise, en voix off, dans mon film- sont pour 70 % les siens. Le reste vient de moi: c’est une sorte de synthèse que j’ai faite de ces lettres. J’étais troublée en les lisant, car j’aurais pu écrire tout ce qu’elle a écrit à certains moments de ma vie.

L’EXPRESS – Quels sont les points communs entre Wallis et vous?
Madonna – Nous sommes toutes deux des Américaines qui ont débarqué en Angleterre. Elle est orpheline de père ; j’ai perdu ma mère à 5 ans… Elle vient d’un milieu pauvre, comme moi. Elle a grandi en pensant qu’elle était née du mauvais côté de la barrière. Et elle aspirait à une vie meilleure… Nous avons été critiquées pour notre ‘ambition’, notre excentricité, nos comportements ‘scandaleux’. [Rires.] Dans ce film, je voulais aborder la notion du culte de la célébrité, les obsessions et la violence qu’elle peut générer. Et cette frustration de n’être vu qu’en noir ou en blanc, sans nuances. Dans ses lettres, Wallis parle d’une « dualité entre la fragilité et l’ambition ». Je la comprends. Je connais ce sentiment dévastateur qui, parfois, fait penser que le monde entier est contre soi. Dans W./E., il y a un autre personnage qui résonne en moi: l’immigré dont Abbie Cornish tombe amoureuse: c’est un pianiste, passionné de littérature, qui travaille comme vigile chez Sotheby’s. Mon père, Silvio Ciccone, est le fils d’immigrants italiens. Mon grand-père était ouvrier. J’ai été élevée sévèrement… Je connais tout ça! Ce film est une extension de moi. Mais, entre Wallis et moi, il y a une différence: mon époque m’a permis de m’exprimer.

L’EXPRESS – Du début à la fin, votre film fait des allers-retours entre deux époques : l’histoire de Wallis et d’Edouard dans les années 1930, et celle de Wally Winthrop [Abbie Cornish].
Madonna – Je voulais raconter l’histoire de Wallis à travers les yeux de Wally Winthrop, une New-Yorkaise de notre époque, qui devient l’élément clef de la narration. Wally est une jeune femme paumée, trahie par un mari alcoolique qui la bat. Elle est obsédée par l’histoire du duc et de la duchesse de Windsor et se rend à une vente aux enchères d’objets leur ayant appartenu -une vente qui a réellement eu lieu chez Sotheby’s en 1998. Comme moi, elle est en quête d’une histoire d’amour parfaite et féerique, parce qu’elle est désemparée. Elle finit par vivre par procuration, en s’imaginant la relation entre Wallis et Edouard dans les moindres détails -dans le film, ils apparaissent en flash-back. Je pense que, même à notre époque, nous rêvons encore toutes du Prince charmant. Et la confrontation entre ces deux femmes, qui se rencontrent d’une façon onirique, est violente, mais elle aboutit à une prise de conscience. Wally finit par « rencontrer » Wallis et découvrir la réalité de sa vie. Abbie Cornish est parfaite dans ce rôle. Elle a une force en tant qu’actrice, même lorsqu’elle ne dit rien. Avec ces silences pesants, tristes.

L’EXPRESS – Il y a une quête presque obsessionnelle du détail dans W./E.: la façon de filmer un corps qui se dénude, un gant, un cou. Ce gros plan de la main de Wallis qui serre celle d’Edouard dans un moment de liberté et son vernis rouge sang écaillé…
Madonna – [Rires.] C’est justement l’un des moments d’évasion dans leur amour. Cette main négligée dévoile sa vulnérabilité… Je voulais montrer ce qu’il y avait derrière sa façade. C’était très difficile de trouver une actrice pour incarner Wallis. Je recherchais quelqu’un d’androgyne et de fragile tout en étant très féminin et possédant une énergie nerveuse, comme un oiseau. Lorsque Andrea Riseborough est entrée dans la pièce… La façon dont elle bougeait dans sa robe, son long cou, ses mains expressives… J’ai su immédiatement que ce serait elle.

L’EXPRESS – Les costumes, les bijoux, la déco: tout est d’une beauté voluptueuse et, encore une fois, étudié au millimètre près.
Madonna – Le style Wallis était l’essence même du chic. La duchesse travaillait à réduire chaque tenue à sa quintessence. Le personnage de Wallis porte 60 robes différentes dans le film, et presque toutes sont dans les tonalités du bleu, couleur qu’elle adorait. Nous les avons fait recréer par Vionnet ou par Christian Dior, à partir de photos ou de pièces authentiques. Il en est de même pour les bijoux: la maison Cartier avait une relation privilégiée avec la duchesse et, parmi les plus belles pièces qu’elle nous a prêtées, il y a un bracelet sublime avec des pendentifs en forme de croix. Pour chaque événement important, le duc offrait une croix en pierres précieuses à sa bien-aimée pour qu’elle l’ajoute à son talisman. J’ai demandé à Cartier de m’en faire une copie, que je ne quitte jamais. J’ai moi-même prêté mes bijoux pour ce film, ainsi qu’une centaine d’objets personnels : mes tapis, mes vases, mes meubles, mes tableaux… dont certains ont été peints par moi. De la déco aux costumes, tout est puisé dans les Arts déco, mon époque préférée.

L’EXPRESS – Possédez-vous un objet ayant appartenu à Wallis?
Madonna – Oui. Un sac magnifique de Roger Vivier, en crocodile noir.

L’EXPRESS – Dans des images du tournage, on vous voit avec une caméra. Vous avez filmé beaucoup de scènes?
Madonna – Oui. J’ai tourné avec une Super 8, pour les flash-back, et avec une petite 16 millimètres, pour les scènes plus intimes. J’ai demandé des conseils techniques à mes deux ex-maris, Sean Penn et Guy Ritchie, mais je me suis surtout inspirée de La Môme, d’Olivier Dahan. J’adore ses longs travellings. J’aime quand la caméra devient un animal, danse, se transforme en personnage. Cela crée une forme d’intimité. Dans W./E., il y a des séquences de cinq minutes qui ont été tournées en une seule prise ! Mais j’admets que la réalisation est un travail plutôt masculin. Pendant des mois, j’ai arrêté de me maquiller, de me coiffer… Je l’ai fait pour les autres, et j’ai adoré.

L’EXPRESS – Vos choix musicaux sont surprenants… et anachroniques. Comme cette scène magique où Wallis danse pour Edouard, durant une fête, sur « Pretty Vacant », des Sex Pistols !
Madonna – Wallis est une femme en avance sur son époque et sa sensualité débridée est très proche du punk. J’aime les voyages dans l’Histoire, les esprits s’y croisent. Dans cette scène, Wallis ressemble à un personnage échappé d’un tableau d’Otto Dix… Parmi les anachronismes, j’ai aussi utilisé du reggae pendant qu’elle prépare un Martini dry avec un shaker, ou « The Twist », de Chubby Checker, lorsqu’elle danse pour la dernière fois devant Edouard, sur son lit de mort. Pour ces scènes, j’ai travaillé en tandem avec la chorégraphe Stefanie Roos, qui est mon alter ego sur toutes mes tournées depuis quinze ans. Et je me suis amusée comme une enfant.

L’EXPRESS – Ces images musicales sont paradoxalement douces, romantiques, comme votre chanson « Masterpiece », que l’on entend dans la BO du film et qui est aussi sur votre album MDNA.
Madonna – Cette chanson, comme les autres de MDNA que j’ai créées tout en travaillant sur mon film, est viscérale. A la fois sentimentale, dans l’abandon, mais aussi parlant de pardon, de rédemption, de vengeance et de trahison. Ce film et ce disque sont très liés.

L’EXPRESS – Que pensez-vous de la vision de l’amour de Wallis et d’Edouard?
Madonna – C’est un tunnel… L’amour est impossible à décrire, à expliquer – comme Dieu ou les lois de l’Univers. Ce que je sais, c’est qu’il est la force qui nous anime et sans laquelle nous n’existons pas. L’amour entre Wallis et Edouard est un océan, avec un fond d’autodestruction… Mais, parfois, c’est aussi ça, l’amour. Quand j’imagine un autre film que j’aurais envie de tourner, je pense à une phrase de Wallis : « Personne ne peut te faire du mal à moins que tu ne l’y autorises ! »