En 1991, la sortie du documentaire « In Bed with Madonna » avait donné lieu, en France, à des critiques relativement sévères de la part des différents médias et journaux.
Aujourd’hui, 20 ans plus tard, alors qu’Arte diffuse le documentaire et après que Lady Gaga s’en soit très largement inspirée pour les scènes backstage de son concert sur HBO, l’immense héritage de Madonna est enfin perçu avec plus de recul…
Les critiques, même les plus sévères, sont unanimes : Un documentaire révolutionnaire autour d’une Madonna totalement culte !
Genre : leur mère à tous – par Guillemette Odicino
Tourné pendant The Blonde Ambition Tour, la troisième tournée mondiale de Madonna dans la foulée de la sortie de son album Like a prayer, ce documentaire in vivo reste passionnant aujourd’hui. Entamée le 13 avril 1990 dans la ville japonaise de Mukuhari, cette tournée se concluait quatre mois plus tard à Nice.
Au total, la Madonne avait chanté dans vingt-sept villes : un marathon, un sacerdoce. Ses prières rituelles avec son équipe avant d’entrer en scène, son interprétation très « hot » de Like a virgin, et la police guettant dans les coulisses des gestes de masturbation pour interdire le spectacle, ses rapports fusionnels, maternels avec ses danseurs jusque sous les draps : on est bien « in bed » avec elle.
Au plus près de ce sacré bout de femme, narcissique assumée, vraie perfectionniste, provocante et boy-scout, le cœur sur la main et la main sur le pubis. Il y a presque vingt ans, ce film prouvait déjà que Madonna était increvable, faite pour durer, et nous étonner encore et encore.
De Louise Ciccone à l’icône Madonna – par Clément Ghys
Débarquée à New York à 20 ans, la reine de la pop incarne aujourd’hui l’«american dream».
Dans un épisode de la série Glee, un personnage affirme que «Madonna est la femme la plus puissante à avoir foulé le sol terrestre» avant de se lancer dans une série d’éloges de la chanteuse américaine devant un parterre de lycéens mal dans leurs peaux acnéiques. Comme il y a un certain nombre d’énigmes sur la mère du Christ, la Madone, il semble qu’il y ait aussi une énigme Madonna : comment, à 53 dans quelques jours, une chanteuse peut-elle encore imprimer à chacune de ses apparitions une marque sur la pop, la bousculer et écraser sans vergogne ses concurrentes à peine pubères.
«Triomphe de la volonté», diront certains, faisant référence au film de propagande nazie du même nom et signé Leni Riefenstahl. Un parallèle délicat mais plutôt juste tant les recettes entre les systèmes totalitaires et la pop culture sont similaires. D’autres évoqueront une version plus acceptable, l’american dream, ou comment une gamine de Détroit, née en 1958 dans une famille italo-américaine, orpheline de mère, a pu devenir en quelques années à peine la «reine de la pop».
Excellente élève, la jeune Louise Ciccone déteste l’école qu’elle quitte vite, au désarroi de son père qui lui coupe les vivres. Elle a 20 ans lorsqu’elle quitte sa Motor City natale et débarque en bus à New York, avec, selon la légende, 35 dollars dans la poche. Une étoile va naître. Mais pas tout de suite, puisqu’en dépit de son ambition dévorante, la gamine se retrouve dans le lot des danseuses-wannabes qui gravitent autour des théâtres de Times Square. Elle devient serveuse, pose nue, se lance dans la chanson, les entrechats n’étant pas très payants. Et multiplie les auditions.
A l’occasion de la ressortie en salle de sa comédie musicale Hair, en 2004, Milos Forman se souvenait dans Libération avoir mis une annonce dans Village Voice qui précisait que les premiers inscrits seraient les premiers auditionnés : «Quand je suis arrivé à 10 heures, il y avait déjà 400 noms. Et le premier était celui de Madonna ! Pour être la première, elle avait dû arriver à 5 heures du matin.»
Elle ne fut pas prise, mais elle traîne avec Jean-Michel Basquiat, investit les clubs, dansant et sautant jusqu’à la cabine des DJs, les suppliant de passer ses maquettes. En 1983, elle sort son premier album, Madonna, qui cartonne, suivi, en 1984, de Like A Virgin. L’allure Madonna débarque dans les rues, les sous-vêtements sont portés sur les tee-shirts et les bijoux sont strassés. Les filles l’imitent, les gays l’adorent, les chrétiens sont outrés et les autres perplexes.
En 1985, elle tourne Recherche Susan désespérément aux côtés de Rosanna Arquette. Le film, sur la fascination d’une jeune bourgeoise pour une inconnue, restera surtout pour sa B.O. et son single Into The Groove. Madonna est une star, les albums, les tubes se multiplient, comme les scandales quand elle épouse Sean Penn, divorce après un mariage houleux, organise des concerts-choc ou mime une masturabation sur scène. Elle incarne alors «l’époque» et une vision esthétique de la déviance, des adeptes des pratiques S&M, des clubbeurs. Louise Ciccone est devenue Madonna, ce monstre pop à sang-froid, control freak.
Ce personnage est visible dans le documentaire In Bed With Madonna, tourné en 1991 par Alek Keshishian sur sa tournée Blond Ambition Tour. On y voit la jeune femme avec ses danseurs, ses choristes, mi-dictateur, mi-girl next door. Elle vit alors avec Warren Beatty qui, dans le film, semble perdu face à cette surexposition, presque plus caricaturale que tout ce que le bellâtre connut à Hollywood. Dans une interview, Madonna déclara un jour : «Je suis dure, je suis ambitieuse, je sais exactement ce que je veux. Si ça fait de moi une salope, okay.»
Bitch ultime donc, mais bitch dans l’air du temps. Capable d’incarner à elle toute seule la complexité de l’époque : pornochoc quand il faut l’être, mère de famille ou accro au sport. Et toujours capable de renverser l’image que l’on avait d’elle.
Quand on la croit définitivement enterrée dans les manoirs anglais où elle vivait avec son mari Guy Ritchie, elle revient en force avec le single Hung Up, prouvant qu’elle veut toujours être reine du dancefloor. Adepte de la kabbale, icône gay, végétarienne, fan de yoga, businesswomen, porte-parole, cougar (elle vivrait aujourd’hui avec un jeune danseur français de 25 ans), elle multiplie les épithètes, même s’ils sont antinomiques. Depuis le début des années 80, Madonna a toujours été là, évitant soigneusement que d’autres chanteuses ne prennent sa place et qu’elle disparaisse de la lumière. Comme le résume l’un de ses amis dans In Bed With Madonna : «Il n’y a pas de vie pour elle hors champ.»
Truth or Dare, In Bed with Madonna – par Plissken
Madonna est un peu l’héroïne de fiction que tout scénariste rêverait d’inventer. Elle est jolie, elle est provocante et elle est capable de galvaniser des millions de personnes en une seule chanson. Alors dans ce cas, au lieu de faire un film sur un personnage fictif qui n’arrivera pas à la cheville de la Madone, pourquoi ne pas la suivre et filmer la réaction des gens et de ses proches. Le résultat en sera bien plus efficace.
Ainsi, on pénètre dans l’intimité de cette diva qui, à l’époque, était numéro une incontestée dans les charts. Le documentaire n’utilise aucune voix-off pour expliquer ou narrer le propos. Les réactions de l’artiste et de sa troupe sont les seuls fils conducteurs. On voit alors la plus grande star du monde entier affronter les épreuves une par une. Les quolibets de la presse people, le puritanisme canadien, les menaces du Vatican, une tournée physiquement et mentalement harassante,… on découvre alors petit à petit l’humanité de cette vedette que certains considéraient comme une déesse. On se rend compte de la pression qu’elle a à affronter et de tout ce que son personnage ultra provocant évoque peut lui susciter comme soucis.
« In Bed With Madonna » s’avère finalement être un documentaire d’une simplicité flagrante pour une star à la notoriété internationale. Il est parfaitement efficace mais sera tout de même à réserver aux fans de la Madone. Les autres risquent de n’y trouver aucun intérêt.
Critique de In bed with Madonna – par NicolasS1
Un 10 bien sur, mais il faut aimer Madonna. Nous sommes plongés en fin des années 80 dans la vie de la Madonna durant sa tournée Blond Ambition. Parfois drôle, parfois décalée, parfois cruelle, Madonna prouve qu’elle est une grande, pleine de conviction, pour qui la provocation n’est qu’un moyen de langage. Avec des scènes live très belles (Oh father notamment) ce documentaire parfois plus mis en scène que prit sur le fait, est un temple pour toutes les chanteuses pop qui suivirent. Aucune n’arriveront à une telle classe/vulgarité, et jamais la musique pop alors n’avait été autant un art.
Émouvant et surtout très drôle (Madonna voulant coucher avec Banderas 6 ans avant Evita) ce documentaire prouve que Madonna est une grande artiste, femme d’affaire reconnue, croqueuse d’homme légendaire, provocatrice géniale.
In Bed with Madonna – par Frédéric Mignard
Un modèle de documentaire musical qui permet une introspection remarquable dans l’univers déluré de la Madonna star du début des années 90. La chanteuse s’y révèle bien meilleure comédienne que dans les fictions où elle s’est égarée.
L’argument : Sur scène et en coulisse, Madonna propose un autoportrait sulfureux.
Notre avis : 1991. Madonna est alors la plus grande star de la planète. Michael Jackson a entamé une retraite temporaire après l’album Bad (1987). George Michael est sur le déclin. Whitney n’en est pas encore à la résurrection de Bodyguard et découvre les drogues. Mariah Carey ne fait qu’apparaître… Pour mesurer son aura auprès du public, la madone sort sans crier gare un documentaire provocant, à l’image de sa première décennie de carrière autour de sa tournée mondiale, le Blond Ambition (1990). Mélange de scènes de concert brillamment mises en scène et d’instantanés de coulisses (la caméra d’Alek Keshishian a filmé la méga star en permanence pendant de longs mois, y compris dans son intimité), Au lit avec Madonna, déboule à Cannes hors compétition en mai 1991 et la venue de la provocatrice permet à la Croisette de battre des records d’affluence. La curiosité aidant, le film devient une belle source de curiosité et devient un gros succès dans son genre (la non-fiction) devenant le documentaire numéro un aux USA. Il faudra attendre les pamphlets politiques de Michael Moore et la vague des docus animaliers, dix ans plus tard, pour que son exploit tombe aux oubliettes.
Mais que peut-on retenir aujourd’hui de son exercice de mise à nue sobrement intitulé aux USA Truth or dare, c’est-à-dire « action ou vérité » (pour les actes sexy et les révélations intimes) ? Alors que Madonna quinquagénaire est devenue une institution mondiale immuable, forgée dans la froideur de son personnage et l’humanitaire idéologique propre à sa maturité d’artiste et de femme, In bed se pose avant tout comme un jalon dans l’existence de la célébrité. Elle apparaît alors comme une jeune trentenaire, mi-mère collective (elle materne sa troupe de danseurs homosexuels), mi-ado attardée qui s’enfonce inlassablement tête baissée dans une routine de tournée festive, blaguant à deux balles, jurant comme une charretière pour le plaisir sincère, quasi dépressif, de l’éclat’ et de la provocation, fidèle à son esprit rebelle mythique. L’image de la chanteuse est donc viscéralement différente de celle de l’artiste qui sort aujourd’hui son 3e best-of, Celebration. Elle n’a pas encore subi le courroux médiatique conservateur contre ses dérives exhibitionnistes (le livre érotique Sex et l’album Erotica), la traversée du désert relative des années 90, et surtout la maternité et la Kabbale qui la frapperont de deux rayons de soleil salvateurs (manifestés artistiquement par Ray of light, l’album de la rédemption par la maturité en 1998).
Dans In bed, la chanteuse d’Express yourself rayonne. Elle joue d’audace et de provocation, comme toujours depuis le début de sa pétillante carrière, avec une délectation communicative. Elle pratique une fellation sur une bouteille, compose un poème sur les pets, insulte Kevin Costner, se masturbe sur la scène canadienne devant la police venue la menacer d’arrestation. Elle joue avec sa petite équipe et ses proches, et se joue tout simplement d’eux, de leurs sentiments, de leur naïveté, de leur fragilité… Elle, qui s’apprête à rester à la Une encore deux décennies, offre et reprend à ceux qui vont irrémédiablement disparaître des devants de la scène. Elle arbore un visage qu’elle a construit, le modelant adroitement à des fins commerciales et artistiques le temps d’une tournée et d’un film immortalisés par une caméra cannibale qui dévore tout ce qui lui est jeté en pâture – accidentellement, inconsciemment et bien évidemment volontairement.
Véritable valse des pantins orchestrée par une artiste qui met en scène son monde sans jamais être derrière la caméra, le documentaire est révélateur de ses manipulations. Quand elle s’amuse, la bête de scène travaille aussi et n’a pas d’autre ambition que d’asseoir définitivement son caractère de méga star éternelle. Le souci d’authenticité se conjugue à l’orchestration patente de mensonges, si bien qu’au final la Ciccone s’y révèle bien meilleure actrice que dans n’importe laquelle de ses tentatives de comédienne sur grand écran. Jouant à Madonna – la femme, l’enfant, la star, l’artiste, la sainte et la putain – elle incarne à la perfection un mythe avec une singularité de caractère fascinante. Cela explique pour beaucoup sa royauté dans le domaine de la pop que beaucoup ont essayé de dénigrer sans jamais parvenir à l’égratigner.